4 janv. 2009

Dario Argento et le baroque assassin

Je ne ferai l'affront à personne ici de recopier bêtement la date et le lieu de naissance de ce grand monsieur du cinéma (né à Rome en 1940, fils de salvatore Argento et de Elda Luxardo ^_^) alors que vous serez capable de les trouver très facilement sur internet, mais il me paraît important en guise d'introduction d'éclairer un peu la filmographie de Dario Argento à ses débuts.

Le jeune Dario fait son entrée dans le milieu cinématographique par une petite porte qui se révèlera finalement être le portail d'une intéressante carrière ; il est d'abord embauché en tant que critique dans quelques quotidiens italiens et fait montre d'un grand talent d'écriture tout en exposant des opinions à contre courant et en dénonçant une censure trop présente à l'époque. prenant conscience de l'impact des écrits, il décide de devenir scénariste et cette expérience sera pour lui une veritable révélation. Si les premiers essais ne sont pas aussi virtuoses que ça (Une corde, un colt de Robert Hossein, ou La légion des damnés d'Umberto Lenzi) sa participation à l'écriture du monument inégalé Il était une fois dans l'Ouest de Sergio Leone le propulse littéralement sur le devant de la scène.


1) La Quintessence du Giallo

Impossible lorsqu'on évoque le Giallo de ne pas évoquer en même temps le nom d'Argento et vice versa, lorsqu'on parle d'Argento, on ne peut occulter sa réussite dans le genre. Le Giallo (qui se traduit littéralement par "jaune") est à l'Italie ce que la Série Noire est à la France, mais il est malheureusement resté trop peu populaire dans nos contrées. L'un des réalisateurs les plus emblématiques à avoir transposé le Giallo au cinéma est sans conteste Mario Bava avec des titres aussi évocateurs que 6 femmes pour l'assassin ou La fille qui en savait trop, et Dario Argento se révèlera par la suite être son digne héritier (plus digne que le fiston Lamberto Bava). Argento se lance sur les traces de Bava en 1968 en mettant sur pied son premier giallo : L'Oiseau au plumage de cristal. Le film bénéficie d'un succès inattendu et, influencé par nombre de réalisteurs comme Sergio Leone, Mario bava, Frederico Felini, Michelangelo Antonioni et bien sûr Alfred Hitchcock, Argento se lance dans ce qui deviendra la fameuse Trilogie Animalière avec les deux films suivants, Le chat à neuf queues (1971) et Quatre mouches de velours gris (1972). Ces trois films ne sont pas sans évoquer les oeuvres du maître Bava, mais Argento se forge son propre style, très influencé par la peinture et la musique classique, ses films alternent prises de vues magnifiques et meurtres d'une violence exagérée et sont basés sur des scénarii bien souvent ironiques, où l'on retrouve son désir de mise en abîme, car tout dans ses films, comme au cinéma, n'est que mise en scène et décors, mensonges et ambigüité du jeux d'acteurs.


Après avoir délaissé le genre pour une tragicomédie sans intérêt véritable (Cinq jours de revolution), il revient à ses premières amours pour nous livrer son premier chef-d'oeuvre, pièce essentielle à son oeuvre : Profondo Rosso. Pour beaucoup, Profondo Rosso reste le giallo par excellence et surtout l'un des plus grands films de la carrière de Dario Argento avant que ne vienne planer l'ombre d'un chef-d'oeuvre encore plus grand. Profondo Rosso marque une étape dans la filmographie d'Argento, plus que jamais on sent l'influence de la peinture classique dans son travail et on notera de nombreuses références dont ma petite préférée ; deux personnages discutent dans la rue pendant la nuit et on peut voir en arrière plan, une situation qui reproduit exactement le Tableau Nighthawks d'Edward Hopper.


Du point de vue technique comme du point de vue scénaristique, Profondo Rosso est un véritable manège enchanté et cruel dont on ne ressort pas indemne.

En 1982, Argento revient avec un Giallo considéré par ses fans comme une tromperie, Tenebrae, qui pousse encore plus loin le côté artificiel. Argento dira plus tard considérer Tenebrae comme l'un de ses films les plus personnels, peut-être pour la raison sus-mentionnée. les films suivants ne tiendront plus réellement du Giallo, même si on en retrouve les éléments dans Opera (1987), dans le très très très décevant Trauma (1993), dans un nouveau et magistral Chef-d'oeuvre, Stendhal Syndrome (1996) et dans sa réactualisation de Profondo Rosso ; Le sang des innocents (2001). Ce dernier film se révèle d'ailleurs être un véritable giallo, mais malheureusement si les premières scènes sont innovantes et attrayantes, les similitudes avec Profondo Rosso et le manque d'ambition du tout n'en font pas une réussite excellente, un Argento correct du moins.


2) Le surnaturel ; l'insaisissable adjuvant.

S'il est un élément inévitable dans les films de Dario Argento, c'est évidemment le surnaturel. Même dans ses gialli on peut sentir une influence ésotérique, un goût prononcé de l'irrévélé qui plane sur les protagonistes (on peut penser par exemple à l'exploration de la vieille maison par Marco dans Profondo Rosso). La première incursion véritable d'Argento dans le fantastique fait date dans l'histoire du cinéma, puisqu'il s'agit du plus grand film de sa carrière, j'ai nommé Suspiria.



1977 a été de ce fait une grande année pour le réalisateur. Tandis que les cahiers du cinéma en étaient à le taxer de pornographie pour la complaisance avec laquelle étaient filmées les scènes de meurtres, une nouvelle génération de cinéphiles, accompagnée par celle, apparue vers 1958 qui admirait la Hammer porte Argento aux nues pour cette oeuvre flamboyante et poétique à l'esthétique très poussée. Le scénario est inspiré d'une histoire que la grand mère de Daria Nicolodi (la compagne d'Argento à l'époque) lui racontait. Le couple se met à l'écriture et il en ressort un superbe voyage initiatique, en effet pour la première fois, les personnages de l'histoire ne sont pas majeurs, il s'agit d'adolscentes qui évoluent dans un monde déjà cruel, celui de la danse. Baroque, Suspiria l'est sur tous les plans, et reste le film le plus emblématique de l'univers de Dario Argento.

Argento continue de fait sur sa lancée, Suspiria posait les bases de la légende des Trois Mères en nous montrant (ou plutôt en ne nous montrant pas) dans toute sa splendeur La Mater Suspiriorum et son domaine, La seconde mère à nous être présentée sera la belle et cruelle Mater Tenebrarum dans un film à la démesure du personnage ; Inferno (1981).

Inferno ne se regarde pas de manière passive, jamais le film ne s'ancre véritablement dans une trame narrative, il y est question de clés à trouver, qui mèneront jusqu'à la Mater Tenebrarum. Ce dédain pour la cohérence du récit, n'altère en rien les qualités du métrage qui reste une véritable réussite artistique et se hisse sans peine au niveau de Suspiria dans un délire gothique et coloré encore bien plus poussé ou des images oniriques de toute beauté le disputent à des meutres graphiquement très violents filmés avec maestria comme ce double meurtre perpétré dans un appartement alors qu'un tourne disque passe Nabucco de Verdi comme pour couvrir les cris. Argento avoura plus tard dans une interview qu'Inferno est probablement son film le plus pur et le plus sincère et que le réaliser l'a beaucoup fatigué ; c'est en effet l'impression que donne le film, on sent que le réalisateur y a mis une part importante de lui-même et peu en sont capables.

Argento, on le sait quittera un instant le surnaturel pour Tenebrae, giallo quelque peu délirant mais y reviendra très vite pour une petite perle que j'affectionne tout particulièrement ; Phenomena (1984)

Avec Phenomena, Argento revient à une thématique qu'il aime particulièrement, celle de l'enfance, comme dans Suspiria, nous suivons ici une jeune fille qui fait son entrée dans un penssionnat. Le surnaturel se fait plus discret mais encore très présent, ne serait-ce que dans l'ambiance et les éclairages irréels. Le surnaturel n'est plus ici un opposant comme il l'est dans Suspiria et Inferno, il n'est d'ailleurs plus personnalisé, point de Mater ici, mais une étonnante jeune fille, jouée par Jennifer Connelly qui peut parler aux insectes, joli non ? Pourtant, Phenomena sera considéré comme le début du déclin de la filmographie d'Argento, beaucoup lui trouve un caractère ridicule, Donald Pleasance lui même, qui joue dans le film le rôle d'un spécialiste des insectes, professeur bedonnant en fauteuil roulant et aidé par un chimpanzé, trouvera son rôle un brin grotesque en dépit de la poésie du scénario. Daria Nicolodi remplace Alida valli (Suspiria et Inferno) dans l'habituel rôle de la mégère complice du mal qui se trame et Argento signe une mise en scène millimétrée tout à son honneur.

Plus que jamais Argento baigne dans un ésotérisme discret et demande l'un de ses plus gros budgets pour une oeuvre qui lui tient très à coeur. Espérant un retour au baroque en grande pompe, tout le monde se met en branle pour permettre à Argento de réaliser Opera.

Opera ne sera malheureusement pas le succès escompté, à cause probablement d'un tournage mouvementé et d'un scénario maintes fois réécrit et aussi peut-être à l'absence de sa star, Vanessa Redgrave (aurait-elle senti le fiasco ?). Toujours est-il que le film n'en est pas pour autant un navet et on y retrouve comme toujours les influences qui ont construit le style d'Argento. Baroque, Opera l'est certainement et on y retrouve aussi le côté surnaturel discret de Phenomena, avec la présence et l'intervention des Corbeaux. Une belle réalisation qui ne convaincra malheureusement pas grand monde.

J'aurais tendance à dire qu'Opera est pourtant l'une des dernières réusistes baroques d'Argento puisque 1990 amorce le réel déclin avec des oeuvres aussi inintéressantes que Trauma, simili giallo matiné de thriller américain ou pire Card Player en 2004 totalement dénué d'intérêt. Les années 90 seront difficiles pour le réalisateurs jusqu'à maintenant on ne peut compter qu'un seul véritable coup d'éclat en 19 ans, un film qui heureusement rattrappe à lui seul le fiasco de ceux qui l'entourent ; Le Syndrome de Stendhal (1996) Après nous avoir exposé sa passion pour l'opéra, Argento nous emporte dans son monde pictural et y transpose la trame de ce thriller haletant et esthétiquement superbe. Le thème est traité avec maestria et les incursions du personnage principal (Asia Argento) dans les oeuvres qu'elle admire à s'en faire tourner la tête sont très bien rendues à l'écran. Pas réellement surnaturel, Stendhal Syndrome joue aussi sur le thème de la schysophrénie et du double, un chef-d'oeuvre de toute beauté.

Pas la peine de parler de son Fantôme de l'opéra, souvent qualifié de catastrophique et pourtant très attachant, qui surfe facilement avec le surnaturel. On notera néanmoins que Argento ne s'est jamais défait dans ses réalisations de sa passion pour les arts et de ses références littéraires.

En 2006, La Terza Madre achève les fans d'Argento qui s'attendent à un dernier volet de la trilogie des trois mères à la hauteurs des deux premiers. malheureusement, le film s'avère d'un mauvais goût terrible, et seule subsiste l'ironie...

3) Tout vient de l'enfance...

Comme je l'ai dit plus haut, l'enfance est une thématique très importante dans le cinéma d'Argento, elle est très souvent associée au surnaturel et des films comme Suspiria et Phenomena sont pour leur personnage principale de véritables voyages initiatiques. Dans Suspiria, Jessica Harper, lorsqu'elle arrive à l'école de danse n'est encore qu'une enfant, tout dans le film est là pour le rappeler, jusqu'aux poignées des portes placées à une hauteur conséquentes comme si l'héroïne était véritablement petite alors que ses 17 ans lui permettent de les atteindre sans encombre. Argento comparera cette image plus tard à la découverte de la chambre des parents par l'enfant, l'endroit lui est défendu et il doit se hisser sur la pointe des pieds pour atteindre la poignée, il en est de même pour le repère de la Mater Suspiriorum. L'enfant est aussi présent physiquement que symboliquement, il est par exemple la cause du mal dans Phenomena, le Deus ex Machina ridicule dans Trauma, mais il est aussi celui qui ressurgit, souvent au mauvais moment, comme chez Anna Mani dans Stendhal Syndrome.

L'enfance peut aussi être le théâtre du trouble dont l'adulte ne se défera plus, comme pour le tueur dans Le sang des innocents, ou pour Eric dans Le fantôme de l'opéra. Argento établi une véritable toile freudienne à travers sa filmographie et place l'enfant en son centre, peut être comme juste avant Suspiria, l'arrivée de sa fille Asia avait placé un petit bout d'enfance au centre de sa vie.




3 commentaires:

Anonyme a dit…

Ah mais là je dis bravo ,je ne regrette pas d'avoir fait un break pendant "Masters of horror "^^

C'est superbement ecrit,rien ne t'as échappé.Je comprend mieux pourquoi "notre" Dario t'adore !

Merci d'exister ^^,c'est toujours un plaisir de lire un passionné comme toi et surtout qui sait de quoi il parle.

Mon trio Argento (quoi que je les aimes tous ^^):
-Suspiria
-Inferno
-Les Frissons de l'angoisse
-Ténèbres
-Deux yeux maléfiques

Oupss j'avais dit trio ^^...impossible !!!!

Christin@

Anonyme a dit…

E N O R M E !!!
tu balayes toute sa carrière en ne citant qu'à chaque fois l'ensentiel, et ce admirablement.
j'ai longtemps attendu cet article, me voilà enfin récompensé, merci, merci, merci Gabriel.

Gabriel a dit…

Merci à vous deux pour vos commentaires, vous êtes vraiment adorables ^^.
Ca n'a pas été facil d'accoucher cet article là, je suis vraiment content qu'il vous plaise, il me tenait vraiment à coeur, et à Dario aussi visiblement ^^.
Merci encore.