20 avr. 2011

De Sade

Réalisé par Cy Endfield en 1969.
Avec Keir Dullea, Lilli Palmer, Senta Berger, Anna Massey, John Huston...


Scénario de Richard Matheson, inspiré de la vie et de l'oeuvre du Marquis de Sade.



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Alors qu'il est de retour au château familial, le marquis de Sade n'est accueilli que par son oncle, l'abbé de Sade, qui l'attend pour lui montrer une pièce de théâtre narrant sa vie. Le Marquis refuse d'y assister et choisi de raconter lui-même l'histoire, s'y perdant, mélangeant les époques, les rêves et la réalité.



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Le cinéma a longtemps été très timide envers Sade, qui se retrouve, avant les années 60, cantonné à une apparition déguisée dans l'Age d'Or de Luis Buñuel. C'est à American Internationnal Picture, la compagnie de Samuel Z. Arkoff et James H. Nicholson, que l'on doit la première tentative de biographie du Marquis de Sade.



Cyril Endfield se voit confier la réalisation ou plutôt l'achèvement d'un projet qui a vu passer Roger Corman et Gordon Hessler derrière la caméra avant lui, et s'applique à mettre en image le script tortueux et presque fantastique de Richard Matheson, qui retrace la vie du Marquis de sade, comme un conte fantasmagorique.



C'est cette approche scénaristique qui fait tout l'intérêt de De Sade, puisque la narration baroque de Matheson rappelle énormément celle de Lola Montes, de Max Ophüls. Construisant l'histoire en flashback, Matheson s'amuse à mélanger rêve et réalité, à recouvrir les étapes de la vie de Sade d'un voile de mystère à en dilluer l'obectivité dans une brume de songe qui oblige constamment le spectateur à s'interroger : A quel moment est-on passé de la réalité au rêve?
Il y a trois niveau au récit, qui s'entrecoupent et s'entremêlent, dans un balais brillant sur le plan purement narratif.




Si je dis que c'est cette narration qui est l'intérêt principal de De Sade, c'est parce que le film n'est pas à prendre comme un biopic précis du Marquis. Le personnage lui-même devient une figure romantique, proche de l'image qu'en donne Jess Franco au début de Justine (1968, avec Klaus Kinski dans le rôle), à laquelle vont parfaitement les yeux délavés de Keir Dullea (2001 l'Odyssé de l'espace). Le film n'illustre pas non plus l'univers propre à Sade, ni les excès pour lesquels il a été emprisonné, qui sous la caméra de Endfield se transforment en pollisonneries rapidement lassantes.

Malgré ce côté désuet du fond (réhaussé par les dialogues, qui font heureusement références aux opinions de D.A.F), du moins lors des scènes supposément orgiaques, De Sade répond présent au niveau des décors et costumes, colorés et chatoyants. Au niveau du casting, on a le plaisir de trouver John Huston dans le rôle de l'abbé, l'oncle de Sade qui se trouve être ici la figure perverse. Lilli Palmer est une parfaite Mme de Montreuil, qui tend presque à devenir le personnage central dans l'une des meilleures séquences "inventées" du film dans une prison indéterminée, issue peut-être d'un délire du Marquis repentant.

Remarquable par sa forme, moins par son contenu, De Sade reste une oeuvre surprenante, qui s'attache à montrer la vie du marquis au delà de ses écrits, sa passion pour le théâtre, son mariage raté etc, l'élevant au rang de figure tragique, poète visionnaire et perdu, à la recherche d'un moment de réalité au milieu d'un océan de rêves.

11 avr. 2011

Les Mémoires d'Elizabeth Frankenstein

Roman de Théodore Roszak

Paru en 1995, et en 2007 pour la traduction française au Cherche Midi. 600 pages.

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Recueillie par la baronne Caroline Frankenstein, la jeune Elizabeth est introduite dans le monde secret des sorcières et initiée à l'alchimie, aux lois de la nature et à celles du corps humain. De son côté, Victor, fils légitime de la baronne ne jure que par la raison et le savoir : il prétend pouvoir créer une vie qui ne naitrait pas du corps de la femme, mais de la science. Ces deux natures contradictoires vont se confronter et se mêler jusqu'à l'accomplissement de l'oeuvre, qui voit la funèbre consécration du prométhée moderne.

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Merveilleuse plume que celle de Theodore Roszak, historien et professeur à l'université de Californie, mais surtout romancier et essayiste hors pair. Le Diable et Daniel Silverman était déjà un remarquable huis clos doublé d'un discours à la fois subtil, brutal et satyrique, multi-référenciel et angoissant au possible.

Ce que l'on peut dire en premier lieu des Mémoires d'Elizabeth Frankenstein, c'est qu'il le surpasse grandement. En tout point, ce roman est un chef-d'oeuvre, et probablement la pièce maîtresse de la bibliographie de Roszak !


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Lorsque Frankenstein ou le Prométhée Moderne parait en 1818, personne ne veut croire qu'il est l'oeuvre d'une femme, et pourtant, c'est bien Mary Shelley qui se trouve derrière ce conte macabre et philosophique, chose dont peu se sont rappelé jusque là dans leur traitement du mythe, que ce soit au cinéma ou en littérature. Il faut dire que dans son roman, Mary Shelley ne laisse la parole qu'aux hommes, ne laissant Elizabeth s'exprimer qu'à travers quelques lettres (ce que souligne Roszak au début du roman). Pourtant, il demeure que l'auteure se serait prise pour modèle en imaginant le personnage d'Elizabeth, et voila qui donne à penser qu'il y a bien des choses à découvrir sur l'énigmatique "fiancée de Frankenstein".


Donnant ainsi la parole tantôt à Elizabeth, tantôt à Walton (l'homme ayant recueilli les confessions de Victor Frankenstein) qui commente le journal, Roszak s'applique à nous livrer toute l'histoire et même un peu plus, depuis l'enfance d'Elizabeth, jusqu'à sa tragique nuit de Noce, du point de vue de la jeune femme.

L'idée de base est alléchante, mais s'arrêter là aurait été frustrant, et on peut compter sur Roszak pour l'enrichir, d'une histoire parallèle mélant alchimie, spiritualité et féminisme, qui utilise avec brio les bases posées par Mary Shelley et qui perpétue les grandes traditions romantiques. Ainsi les personnalités d'Elizabeth et de Victor sont explorées, dévoilées jusque dans leur plus profonde intimité, pour délivrer une oeuvre d'une puissance bouleversante.


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Jusqu'au boutiste et sans concession, mais aussi tendre et d'une inventivité sans limite, d'une profondeur terrifiante et d'une sincérité désarmante, ces mémoires d'Elizabeth Frankenstein sont probablement le plus bel hommage que l'on pouvait rendre à Mary Shelley.