25 nov. 2013

An Adventure in Space and Time


Réalisé en 2013 par Terry McDonough.
Ecrit par Mark Gatiss.
Avec : David Bradley, Jessica Raine, Sacha Dhawan, Leslie Manville, Brian Cox, Claudia Grant...

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1963. Verity Lambert ne se doute pas qu'elle va mettre en oeuvre le feuilleton qui battra tous les records de longévité alors qu'elle accepte de produire l'idée farfelue de Sydney Newman. Si Doctor Who est né, c'est au départ pour combler une case vide dans la grille de programme, Sydney songe donc à remplir cette case avec un programme semi-éducatif, attrayant pour le jeune public, et quoi de mieux pour attirer le jeune public des années 60 que la science-fiction ? Le jeune réalisateur Waris Hussein est engagé pour mettre en boite les premiers épisodes, une obscure histoire d'hommes des cavernes qui, il en est sûre, va tuer sa carrière dans l'oeuf. Personne n'attend de miracle de la part de Doctor Who, personne n'en fait grand cas, les concept arts du TARDIS ne sont pas prêts, seul William Hartnell, atterri là on ne sait comment, approché par Verity pour interpréter un personnage titre dont il ne sait presque rien, semble s'impliquer à 100% dans l'aventure qui est sur le point d'advenir.


Avec ce téléfilm, c'est un superbe cadeau qu'offre Mark Gatiss aux fans du Docteur qui fête ses 50 ans ! Revenant sur les années Hartnell, il met en lumière les débuts de la série, lève le voile sur les hésitations des membres de l'équipe, leur manque de foi parfois dans le projet, et rend surtout un bel hommage au premier interprète du Seigneur du Temps le plus célèbre du petit écran. On ne s'étonnera pas du travail de reconstitution phénoménal réalisé pour ce docu-drama que la BBC prend véritablement au sérieux (c'est un morceau non négligeable de l'Histoire de la chaîne qui est d'ailleurs raconté). Rien n'est laissé au hasard, au delà de la simple ambiance sixties, ce sont les décors originaux des premiers serials qui reprennent vie, et des fragments de tournages qui sont rejoués au détails près. Superbement écrit, An Adventure in Space and Time dépasse le cadre du simple docu-drama et cherche et trouve sans mal l'implication émotionnelle du spectateur.


Cette part d'émotion ne tient finalement qu'aux acteurs de cette genèse, principalement à William Hartnell ici incarné par David Bradley, le concierge revêche de Poudlard, qui nous est montré comme un anti-héros des plus attachants, mais surtout comme un acteur investi corps et âme dans le seul rôle pour lequel on se souviendra de lui. Si l'on excepte Reace Shearsmith, dont le physique trop éloigné de celui de Patrick Troughton ne parvient pas à restituer qui était le génial successeur de Hartnell, le reste du casting est un sans faute. Gatiss est finalement parvenu à concrétiser le rêve des "Whovians", faire de nous les témoins, grâce au TARDIS de la petite lucarne, de la naissance d'une superbe mythologie qui n'a pas fini de s'écrire !

8 août 2013

Justine de Sade


Réalisé par Jess Franco en 1968
Avec : Romina Power, Maria Rohm, Klaus Kinski, Jack Palance, Mercedes McCambridge, 
Akim Tamiroff, Howard Vernon, Rosemary Dexter, Rosalba Neri, Sylva Koscina...
Scénario de Peter Welbeck (Harry Alan Towers) 
d'après Les Infortunes de la Vertu de D.A.F. de Sade.
Musique composée par Bruno Nicolaï.

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On relègue souvent ce Justine de Sade au second rang des œuvres de Jess Franco, ne reconnaissant que sa valeur en tant que première adaptation fidèle d'une oeuvre de Sade et ne lui accordant que les qualités d'un film en costume dans les standards de l'époque. C'est pourtant oublier que si Franco sait, quand il le faut, s'adapter à un cahier des charges précis, surtout dans le cadre de "grosses" productions comme ici, il n'en est pas moins l'homme derrière la caméra et que par conséquent, sa patte s'en ressent. C'est très volontier que l'homme accepte de réaliser le projet soumis par Harry Alan Towers, qui lui présente même d'emblée un scénario fini, et c'est le point de départ pour le réalisateur madrilène d'une longue histoire d'amour et de cinéma avec le Marquis de Sade, qu'il adaptera à maintes reprises par la suite.

Dès l'ouverture, Franco s'affirme, distend les limites du cadre, joue avec la mise au point, alors qu'il nous présente son Marquis de Sade que l'on amène dans sa cellule. Le Sade interprété par Klaus Kinski tourne comme un lion en cage, tandis que les zooms et dézooms incessants de Franco font disparaître puis réapparaître les barreaux nous laissant par intermittence entrer dans l'univers étouffant du marquis. La musique martiale presque brutale, de Nicolaï s'adoucit, retrouve en mélodie ce qu'elle perd en immédiateté, en accompagnant les songes du marquis qui, soudain assailli de visions plus ou moins abstraites (on devine des corps torturés, la pointe d'un sein d'une blancheur nacrée dans la lumière qui fait écho à la plume immaculée posée sur le bureau), s'empare de sa plume et ce met à écrire ce qu'une voix off nous annonce comme "l'histoire de Justine ou les Infortunes de la vertu". Dans un coin de la cellule est apparu Justine, prostrée, les mains jointes sur son intimité, qu'un fondu enchaîné transforme en fleurs rouges alors que le générique défile.


On vient presque d'assister à un film avant le film avec cette introduction baroque, fascinante, dans laquelle tous les éléments s'accordent parfaitement. Nous sont alors présentées Juliette et Justine, l'une coquette et perfide, l'autre innocente et vertueuse, deux orphelines laissées à la porte d'un couvent avec chacune cent écus. Si Juliette s'empresse de les faire fructifier en prenant une place dans l'établissement de Madame Du Buisson (une maison close), Justine refuse ce travail déshonorant et préfère faire confiance à un moine qui lui promet de mettre sa bourse en sûreté, moine qu'évidemment, elle ne reverra jamais. La Justine du film ne nous apparaît par tant vertueuse que con comme une bèche, un défaut du personnage selon le réalisateur lui-même plus attaché à la Justine du roman qui fait montre tout de même d'une certaine intelligence. Cette tare, il l'attribut à l'actrice elle-même, Romina Power, la fille de Tyron Power, qui traverse le film avec l'air de n'y rien comprendre. L'oie blanche supporte ses malheurs avec l'aplomb d'un personnage de cartoon et l'empathie que l'on pouvait ressentir vis à vis du personnage s’efface peu à peu. Victime des manigances d'un logeur peu scrupuleux, arrêtée et conduite à la bastille, elle tombe sous la coupe de la Dubois, chef d'une bande de criminelle qui met à contribution la jeune fille pour son évasion. Malmenée par la bande de la Dubois qui demande une reconnaissance en nature, elle s'enfuit à travers la foret et vient s'évanouir devant un peintre qui, le souffle coupée par cette apparition ne sait demabder que "puis-je vous aider ?".


Justine glisse alors hors du temps tandis que ce prince charmant la porte vers un mini château disney entouré de glaïeuls. Ce personnage est Raymond de Briac, totalement absent du roman de Sade. Cet îlot de calme pour Justine a tout d'un rêve, les intérieurs sont nimbés de rose, l'histoire d'amour naissante et l'affirmation de la personnalité de Justine aux côtés de son sauveur redonne quelques couleurs au personnage, mais si ce n'est pas un rêve, alors cela en suit tout de même la logique. Le tout tourne au cauchemar, lorsque forcée de s'enfuir de chez Briac car elle est poursuivie pour son évasion, elle tombe sur l'alter ego maléfique de son amant, le marquis de Bressac. La ressemblance des deux noms laisse penser qu'ils sont un seul et même personnage, divisé en deux par l'esprit de Justine, en effet dans le roman, lorsqu'elle rencontre Bressac, elle est encline à déceler en lui des valeurs qui l'atirrent, avant de ne plus voir que sa nature débauchée et cruelle. Un détournement qui renforce l'aspect onirique d'un film qui est toujours ponctué par les réflexions de Sade/Kinski qui est celui qui tire les ficelles du cauchemar. Cette parti affiche plus que jamais le caractère ambitieux de la production auxquels participent décors et costumes, Justine  passe dans un autre décor, tout droit sorti d'Angélique, marquise des anges, et une nouvelle farce dont elle est le dindon la fait passer pour une criminelle.


Elle n'est pas au bout de ses peines, et sitôt s'est-elle éloignée de Bressac, qu'elle suit le conseil d'une étrange bergère, qui tel une personnification bergmanienne de la Mort lui indique un monastère où elle pourra se réfugier. La musique à l'orgue et la légère plongée sur le visage aux yeux écarquillés de la bergère achèvent de rendre la rencontre étrange. Ce monastère a tout de l'enfer, ses moines n'ont pour étude que la recherche continuelle du plaisir, qu'ils appliquent avec leurs invitées lors de cérémonies obscènes. A la tête de cet ordre se trouve Jack Palance interprétant frère Anthonin. Halluciné, vraisemblablement alcoolisé, l'acteur délivre une partition dantesque, avançant sans marcher, en flottant tel un saint, déclamant une tirade sur l'objet de sa quête et hissant Justine au sommet de sa réflexion, car ici enfin, le film rejoint le roman, lorsque Justine accepte de tendre l'oreille au discours de ses bourreaux et de reconnaître que n'est bon que ce qui se soumet à la loi de la nature. Mais c'est au fantastique alors de doubler d'intensité quand la foudre, qui dans le roman s'abattait sur Justine mettant fin à son calvaire, s'abat sur le monastère pour la délivrer en plein rituel. Alors qu'elle s'enfuit, les moines ne peuvent la suivre, comme prisonnier de l'enceinte même percée du lieu de leur retraite.


Il ne s'agit là que d'un échantillon des malheurs de la pauvre Justine, tandis que sa sœur, Juliette ne fait qu'accroître sa fortune à force de crimes et grimpe les échelons de la société à toute vitesse. Leur retrouvailles sont un soulagement, tant on s'est prit à souhaiter la fin des persécution pour Justine. Ce final qui voit Juliette faire preuve de bonté en sauvant sa sœur, et Justine  partir au bras de Briac qui l'a retrouvé a souvent été reproché à Franco qui trahit ici largement le discours de Sade, mais il ne faut pas oublier la malice du réalisateur, qui après cette conclusion tout sucre tout miel convoque à nouveau le divin marquis Kinski, et sous entend, promenant sa caméra sur un encrier renversé, que pour écrire une fin pareille, il faut que l'homme ait perdu la main. Se reprenant, le marquis raye ses dernières lignes, annulant de fait ce final idyllique et pose le front sur le parchemin en signe de résignation, laissant le spectateur songer à quel dénouement s'expose en fait la pauvre Justine.

Faut-il vraiment voir ce film comme une véritable adaptation des Infortunes de la Vertu et le juger en conséquence, comme trop sage ou trop superficiel, ou faut-il au contraire y voir plus qu'autre chose, une oeuvre dérivée, du para-Sade en quelque sorte qui répond plus aux principes de l'univers francien qu'à l'objet littéraire dont il tire son titre et ses péripéties ? La seconde hypothèse joue plus en faveur de cette oeuvre qui souffre malgré tout de son statut de production respectable, qui bride Franco dans ses aspirations sadiennes qu'il parviendra à satisfaire dans d'autres films plus tardifs, mais ça, c'est une autre histoire.

31 mai 2013

Mystery & Imagination : Dracula


Réalisé par Patrick Dromgoole en 1968.
Scénario de Charles Graham, d'après le roman de Bram Stoker
Avec : Denholm Elliott, Bernard Archard, Susan George, James Maxwell, Joan Hickson, 
Suzanne Neve, Corin Redgrave...

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Sous la houlette de Thames production, la série Mystery & Imagination continue, à la fin des années 60, de délivrer pour le petit écran ses adaptation des grands classiques de la littérature fantastique. Bien évidemment arrive le tour de Dracula, alors que le personnage connaît un essor sans précédent sur le grand écran avec les films de la Hammer. Bien consciente de ne pouvoir déployer les mêmes flamboyances gothiques, l'équipe du film opte pour une approche tout à fait différente qu'accentue un noir et blanc qui sied particulièrement à l'atmosphère glaciale de cette adaptation plutôt déconcertante.

L'objet de la première remarque est bien sûr le scénario, qui en 80 minutes, remanie de façon conséquente le matériau de base. Si La Chute de la Maison Usher, fruit de la même équipe, brodait largement autour de la courte nouvelle de Poe, ce Dracula élague considérablement le long roman de Stoker. Lorsque le film commence, nous nous trouvons dans une cellule de l'asile du Dr Seward. Un dément à la crinière blanche qui pourrait être Renfield s'en évade et se rue dans le salon ou Lucy Weston et sa mère écoute la sonate au clair de lune. Lorsque le dément est maîtrisé et ramené dans sa cellule, l'homme au piano se lève : c'est le comte Dracula. Nous voila directement parachuté en centre de l'intrigue qui délaisse le préambule transylvanien. On apprendra par la suite que le patient de Seward est en fait Jonathan Harker (Corin Redgrave), retrouvé délirant à bord du Demeter qui amenait le comte à Londres, une explication qui n'est pas sans rappeler la découverte de Renfield au fond de la cale du navire dans le Dracula de Tod Browning (1931).


Tout se déroule ici dans un lieu unique, en de longs plans fixes, réminiscences des planches de théâtre qui ont vu naître la pièce d'Hamilton Dean, de laquelle cette adaptation s'inspire beaucoup, renforcées par le découpage en trois actes distincts. La staticité de la caméra n'empêche pas le réalisateur de mettre en oeuvre de belles idées visuelles qui font aussi office de raccourcis narratifs, comme le récits de la mésaventure d'Harker au château de Dracula, où sa rencontre avec les trois succubes prend une tournure quasi-expressionniste. 

Le téléfilm ne fait pas que bousculer la trame du roman, mais affirme sa volonté de démarcation en nous faisant découvrir le personnage de Dracula lui-même, sous un jour (si l'on peut dire) totalement nouveau. Le choix de l'acteur Denholm Elliott sonne comme un défi aux idées préconçues, très éloigné de l'image que l'on se fait du vampire valaque. Cependant l'acteur, dont on avait déjà pu admirer la performance en Roderick Usher dans le téléfilm de Kim Mills cité plus haut, assure une composition remarquable et arbore un look qui oscille entre une vision "modernisante" (un vampire gentleman, pianiste à ses heures perdues, chaussant ses lunettes à verres fumés qui lui donnent l'air distant et vulnérable d'une rock-star vieillissante) et un autre presque rétrograde (sa longue cape peu pratique avec laquelle il ne cesse de faire des moulinets, ses incisives  qui évoquent fatalement le Nosferatu de Murnau, son accent indéterminable...). 


Elliott est assurément l'élément le plus surprenant du casting, mais celui-ci reste tout à fait intéressant, Susan George et Suzanne Neve font d'excellents Lucy et Mina, la première ne cachant pas sa fascination pour le comte, et la seconde tentant désespérément de faire revenir Jonathan à la raison. On notera qu'Arthur Holmwood et Quincey Morris ont été évincé de l'intrigue pour permettre le développement de personnages de second plans, notamment la mère de Lucy, interprétée par la future Miss Marple, Joan Hickson.

Le principal intérêt de cette adaptation réside donc dans son approche quelque peu marginale, mais c'est sans compter sur le savoir-faire d'une équipe qui met tout en oeuvre pour délivrer un conte d'épouvante qui en cela conserve l'esprit du roman de Stoker. Parmi toutes les adaptations télévisuelles du roman, le Dracula de Patrick Dromgoole est  à ce jour la plus ancienne visible et à ce titre mérite largement qu'on s'y attarde.

14 mai 2013

Dario Argento's Dracula 3D


Réalisé par Dario Argento en 2012
Avec Asia Argento, Thomas Kretschman, Rutger Hauer...
Musique de Claudio Simonetti

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Les années 2000 n’ont pas été tendres avec Dario Argento : Si LE SANG DES INNOCENTS laissait espérer un retour en force du maestro dans le genre qu’il avait popularisé au début des années 70, le polar dépressif THE CARD PLAYER, le méta-giallo VOUS AIMEZ HITCHCOCK, et surtout le dernier volet de la trilogie des trois mères, MOTHER OF TEARS ainsi que le thriller mal nommé GIALLO, ont divisé les fans et consacré Argento « has been ». Ces deux derniers essais relevaient pourtant d’une volonté de retour aux fondamentaux, mais force est de constaté que déléguer aux  scénaristes Jace Anderson et Adam Gierasch la prolongation de son œuvre ésotérique était une très mauvaise idée (rappelons qu’ils sont derrière l’immonde MORTUARY de Tobe Hooper), et que mettre en scène leur vision erronée avec autant d’aplomb laissait planer le doute quant à la lucidité du réalisateur. GIALLO au contraire ne souffre pas tant de tares scénaristiques et visuelles, qui sont bien moins frappantes que celles de LA TERZA MADRE, que de son titre qui laisse espérer une synthèse du giallo alors que le film n’est qu’un thriller classique. Moins ambitieux, mieux appréhendé, GIALLO ressemble à l’œuvre d’un cinéaste débutant, encombré par un casting trop lourd (Emmanuelle Seigner, Adrien Brody…), peu concerné par l’histoire qu’il raconte, mais tentant du mieux qu’il peut de travailler une esthétique, une mise en scène et une atmosphère.

Dans cette mécanique du retour aux sources, Argento s’attaque à l’une des figures les plus emblématiques du cinéma fantastique : Dracula. S’il caressait depuis longtemps l’idée de réaliser un film de vampire, ce n’est qu’en 2010 qu’il s’attèle à la tâche, entamant un travail d’adaptation très personnelle du roman de Bram Stoker, ce qui laisse craindre le pire pour ceux qui n’ont pas encore avalé un FANTÔME DE L’OPERA qui ne trahissait pourtant pas tant que ça le roman de Leroux. Mais DRACULA ne se veut pas tant une adaptation du roman de Stoker, selon les dires du réalisateur qu’une révision nostalgique de l’histoire du vampire au cinéma. Encore faut-il que la vision qu’a Argento des films Universal ou Hammer soit la même que la nôtre… Visiblement ce n’est pas le cas.



Le DRACULA de Dario Argento évoque plus facilement celui de Jess Franco que celui de Terence Fisher, même si les écarts par rapport au roman sont pour la plupart empruntés à de nombreuses adaptations passées. Ainsi Jonathan Harker se rend au château de Dracula en tant que bibliothécaire comme dans LE CAUCHEMAR DE DRACULA (1958), il y rencontre une jeune femme énigmatique qui se nomme Tania comme dans LES CICATRICES DE DRACULA (1970), et sa fiancée Mina est la réincarnation du grand amour perdu de Dracula, comme dans le DRACULA de Dan Curtis (1973) et celui de Francis Ford Coppola (1992). Au-delà de ces similitudes, le reste du métrage acquiert une certaine identité, peut-être par son dépouillement. Difficile en tout cas de reconnaitre Argento dans cette émanation vampirique bisseuse tout droit sortie des années 70. DRACULA n’est pas la perle gothique qu’on pouvait attendre d’un Argento désireux de revenir aux bases du cinéma fantastique, mais à tout du film en retard sur son temps. Ce retard, le réalisateur pensait peut-être le rattraper grâce à la 3D, qui toute immersive qu’elle soit n’en souligne pas moins des effets spéciaux à base d’image de synthèse inachevées, dont beaucoup relèvent de la faute de goût (une araignée en CGI ? En filmer une vraie n’aurait-il pas été plus facile ? Ou est-ce là l’araignée en plastique de studio 2.0 ?). La palme revient à une mante religieuse géante d’un vert criard, incrustée sans ménagement.



Cette entêtement à expérimenter toutes les techniques possibles vient gâcher le plaisir qu’on a à admirer le panache d’une mise en scène qui est bien celle d’un Argento soucieux d’adapter le récit vampirique aux canons de son cinéma. Autre constat malheureux, un casting totalement à côté de la plaque, qui parvient au moins à être homogène dans sa médiocrité, d’une Lucy qui refoule ses penchants homosexuels au grand dam du public sous le charme ambigu de la demoiselle (la Lucy en question étant bien entendu Asia Argento) à un Dracula sans envergue (Thomas Kretschman) dont le jeu fade et mal assuré rappelle l’effort plus convaincant tout de même de Louis Jourdan dans l’adaptation de Philip Saville (1977). Le seul à tirer son épingle du jeu est le toujours fringant Rutger Hauer dont le Van Helsing n’apparaît qu’après une bonne moitié du film (Argento ici exauce mon souhait de voir Rutger Hauer, que je considère comme un immense acteur, interpréter Van Helsing, comme Guy Ritchie avait exaucé celui de voir enfin Stephen Fry interpréter Mycroft Holmes). Tel le docteur Loomis dans HALLOWEEN 6 (1996), le spécialiste des vampires surprend Mina dans sa propre maison, pour lui dire qu’il peut l’aider. Oui l’aider, parce qu’à ce stade Lucy est morte, Jonathan n’est pas rentré, les loups hurlent et les villageois accrochent de l’ail partout, bref elle a bien des raisons de faire une dépression. En fin psychologue, Van Helsing veut lui faire subir un choc psychologique, pour qu’elle voit enfin la vie en rose et vienne dégommer le saigneur en chef avec lui, quoi de mieux pour se faire que d’aller cramer Lucy !



Le reste de la trame embraille sur le schéma classique, et inexplicablement DRACULA exerce sa fascination sur le spectateur comme son personnage centrale sur Mina. Force est de constater que dans sa naïveté, le film touche et parle au cœur de l’amateur de cinéma bis qui n’en peux plus des révisions aseptisées à base de triolisme asexué (Twilight). Dans sa plastique évoquée plus haut, il parvient à charmer aussi, les intérieurs étant bien souvent réduits à des murs de pierre décorés d’ail et de crucifix, et les extérieurs, mis à part un village filmé à la Herzog, se résument à une forêt dont l’obscurité en dehors du sentier relève d’une totale opacité. Cette Transylvanie selon Argento n’est pas sans évoquer les Alpes suisses de PHENOMENA que peuplaient déjà les essaims de mouches qui sont ici l’une des nombreuses formes que peu prendre Dracula. Dans sa simplicité et dans le resserrement de son intrigue à un lieu unique, la Transylvanie, avec ses territoires bien délimités  (le village, le château et la forêt qui les sépare) et son développement des seuls personnages véritablement nécessaires à l’intrigue (Jonathan, Mina, Lucy, Dracula, Van Helsing), DRACULA tient presque du schéma  de conte de fée.

Alors que le film s’est achevé sans véritable surprise, on en vient à se réjouir qu’on puisse voir en 2013 un film tel que celui-ci : au récit calqué sur les plus vieux codes du genre, mais au service duquel sont mises toutes les techniques modernes. Le résultat bâtard divise une fois de plus, et s’il prête parfois à rire, ce rire-là est plus franc, moins effaré, moins douloureux que celui qui accompagnât en son temps LA TERZA MADRE, la dernière réplique aidant, en brisant la solennité dont on pouvait croire le film empli, à mettre en avant le talent indéniable de Dario Argento pour amuser la galerie.

8 mai 2013

Le printemps des disparus

Jess Franco

A gauche, aux côtés de Daniel White dans Miss Muerte (1966)

Le réalisateur Madrilène nous a quitté le 2 avril dernier, à 82 ans. L'homme, empereur du bis, auteur ultime, amoureux du cinéma et des femmes, Jazzman fou, esthète sadien, laisse derrière lui une oeuvre écrasante de près de 200 films, bizarres, violents, érotiques, morbides, mais aussi vivants, fascinants, bouleversants. Le réalisateur de La Comtesse Noire, L'horrible Dr Orloff, Vampyros Lesbos, les Nuits de Dracula ou de Justine de Sade a rejoint Lina Romay (décédée en février 2012), sa compagne, sa muse, son vampire, à laquelle il aura consacré 40 ans de sa carrière.

Ray Harryhausen

Avec le tricératops d'Un Million d'années avant J-C (1966)

Décédé le 7 mai à l'age de 92 ans, le génie des effets spéciaux, magicien de la stop motion, Ray Harryhausen laisse une empreinte de géant dans l'histoire du cinéma, ayant réalisé les trucages de classiques tels Jason et les Argonautes, La Vallée de Gwangi ou Le Choc des Titans...

18 févr. 2013

Les Hauts de Hurlevent (2012)


Réalisé par Andrea Arnold en 2011
D'après le roman d'Emily Brontë
Avec Shanon Beer, Solomon Glave, Kaya Scoledario, James Howson...

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On ne s’attendait pas à retrouver Andrea Arnold, réalisatrice du formidable Fish Tank  aux commandes d’une nouvelle adaptation d’un classique de la littérature gothique ! Peu de temps après le magistral Jane Eyre de Cary Fukunaga, d’après le roman de Charlotte Brontë avec Mia Wasikowska et Michael Fassender, débarque discrètement ce Wuthering Heights, adapté du célèbre roman d’Emily Brontë

De retour de Liverpool, Mr. Earnshaw ramène avec lui un jeune garçon, Heathcliff, qu’il entend traiter comme son fils. Très vite, Heathcliff noue une relation particulièrement forte avec Catherine Earnshaw, mais s’attire la haine de son frère, Hindley. A la mort de leur père, Hindley hérite du domaine et se refuse à traiter Heathcliff comme un égal. Ce dernier voit aussi Catherine s’éloigner de lui lorsqu’elle rencontre le jeune Edgar Linton, qui ne tarde pas à la demander en mariage. Heathcliff s’enfuie alors, pour ne réapparaître que quatre ans plus tard, bouleversant la vie de Catherine désormais mariée à Edgar.

Pour donner vie à cette histoire d’amour torturée, Andrea Arnold s’est entourée d’un casting que l’on pourrait qualifier d’improbable et pourtant parfaitement judicieux. A commencer par les adolescents qui interprètent les jeunes Cathy et Heathcliff, respectivement Shannon Beer et Solomon Glave qui font là leurs premiers pas au cinéma avec une sincérité qui confère à la première partie du film une puissance extraordinaire, particulièrement Shannon Beer qui affiche une Cathy espiègle et consciente de son influence. Leurs homonymes adultes sont interprétés par Kaya Scodelario (Effy dans la série « Skins ») et, se reportant, pour la première fois dans l’histoire du cinéma, fidèlement à la description d ‘Heathcliff dans le roman, celle d’un garçon à la peau sombre, Arnold a porté son choix sur un acteur noir, James Howson, dont c’est aussi le premier rôle au cinéma. Le jeune homme entre parfaitement dans la peau du personnage impulsif et inquiétant mais aussi totalement fascinant. Délaissant l’aspect "glamoureux" des adaptations précédentes, la réalisatrice et sa scénariste Olivia Hetreed se sont aussi rappelé la condition de fermiers de Earnshaw, et le choix d’acteurs au parlé presque « chav » rend la chose étonnamment convaincante.




La réussite de « Wuthering Heights » tient avait tout à sa sobriété, qui pousse l’esthétique aux fondements du gothique anglais, avec l’absence de musique extra-diégétique , qui nous laisse pour seule accompagnement sonore le bruit du vent sur cette lande austère tout droit sortie d’un Hammer film. 

Comme dans nombre d’adaptations cinématographiques des « Hauts de Hurlevents », les derniers chapitres du roman, qui suivent la mort de Catherine et voient les enfants Earnshaw et Linton reproduire sans le savoir l’histoire de leurs parents, sont omis, mais l’histoire n’en demeure pas moins dense et le rythme lent et hypnotique. Filmant ses acteurs à leur hauteur et sans plus d’effets convenus, Andrea Arnold parvient à saisir l’essence de son sujet, à rendre sensible cet amour romanesque contrarié, et à insuffler au spectateur la fièvre de ses deux personnages principaux. 

Plus qu’un travail d’adaptation, c’est un remarquable travail d’appropriation qu’accompli Arnold en pliant, sans le dénaturer, le récit à son style. Sans commune mesure avec les précédentes adaptations, elle apporte ainsi sa splendide pierre à l’édifice gothique !


13 févr. 2013

Jane Eyre (2011)


Réalisé par Cary Fukunaga en 2011
D'après le roman de Charlotte Brontë
Avec Mia Wasikowska, Michael Fassbender, Judi Dench, Jamie Bell, Sallie Hawkins, Sophie Ward...

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Il est de ces romans qui connaissent des adaptations cinématographiques à intervalle régulier. Parmi eux,  Jane Eyre  de Charlotte Brontë n’a jamais été le mieux servit, étant resté à tort dans l’ombre de son cadet, Wuthering Heights d’Emily Brontë. Parmi la quinzaine de films inspirés de cette histoire aux accents gothiques, celui qui venait le plus souvent à l’esprit était celui de Franco Zeffirelli (1996) avec Charlotte Gainsbourg et William Hurt. Il faudra désormais compter avec celui de Cary Fukunaga qui arrive sur nos écrans près d’un an après sa sortie britannique, en même temps qu’un certain Batman face auquel il ne tiendra malheureusement pas la distance.

Le réalisateur de Sin Nombre a pour son deuxième long métrage réussi le challenge de saisir parfaitement cette histoire complexe en seulement deux heures (c’est dire si après ça on est en droit d’attendre un miracle pour sa future adaptation de It de Stephen King) et on ne lui en voudra pas de trahir la linéarité narrative du roman pour opter pour une narration en flash-back (Moira Buffini au scénario adapte la construction du film à l’atmosphère voulu par Fukunaga). Les premières images de Jane ne sont donc pas celle d’une enfant, mais nous montre sa fuite éperdue de Thornfield. Telle la Tess de Polanski, Jane avance péniblement sous un ciel de plomb avant de s’écrouler sur la lande.

Il ne faut pas beaucoup plus longtemps pour comprendre que l’esprit du roman est parfaitement traduit par la caméra de Fukunaga qui maîtrise aussi bien ce qui relève de l’enfance et de la maturité de son personnage principal. Il y a bel et bien l’ébauche du fantastique dans le traitement de l’enfance de Jane lorsque son imagination nourrie de contes se mêle à la réalité pour donner vie au monstre qui habite la cheminé de la chambre rouge. L‘aspect malsain du pensionnat Lowood est poussé à son maximum pour coller à la vision qu’en a l’enfant qui partage son séjour entre pénitences et châtiments corporels. Il n’y a pourtant rien de misérabiliste dans cette approche qui surpasse celle qui caractérise un Oliver Twist. 

Le casting est assurément l’atout majeur de cette adaptation. Là où William Hurt et Charlotte Gainsbourg adoptaient une composition qui délaissait l’amour passionné pour une trop froide torture spirituelle proche de l’indifférence tant leurs personnages évoluaient dans deux sphères différentes, Mia Wasikowska (Alice de Tim Burton, The Kids are All Right de Lisa Chodolenko) et Michael Fassbender (la liste est longue, pour une carrière aussi jeune et déjà monumentale) contaminent leurs univers mutuels pour offrir cette complicité fiévreuse qui rend la vision du film aussi chaudement humide que la lecture du roman. Le Rochester de Jane Eyre n’est pas le Heathcliff des Hauts de Hurlevent duquel on le rapproche trop souvent, sa colère se dirige essentiellement sur lui-même et si la retenue de Fassbender l’empêche de s’exprimer c’est pour mieux susciter le malaise chez le spectateur avec cette constante frustration qui garni de barbelés la frontière entre Rochester et Jane. L’impression d’un fantastique discret achèvera de nimber de mystère le secret de Rochester qui sera finalement révélé avec une sobriété bienvenue.

Le parti pris de la nuance adopté par un Fukunaga qui se refuse définitivement à toucher aux extrêmes rend l’histoire d’autant plus trouble que l’identification aux personnages est rendu totalement possible et même inévitable. On n’évitera pourtant pas la haine que suscite Mrs Reed (Sally Hawkins, toujours parfaite), la tante de Jane qui est en partie à l’origine de son drame ou le cousin John Reed (Craig Roberts, LE visage du futur pour le ciné anglais, déjà vu dans le formidable Submarine de Richard Ayoade). Amelia Clarkson est réellement impressionnante dans le rôle difficile de la toute jeune Jane d’autant plus qu’elle semble très à l’aise dans l’amitié trouble qui lie son personnage à la jeune Helen (Freya Parks, une belle promesse du cinéma britannique). Judi Dench (Lady Dench et ses dix BAFTA awards ne déçoit décidément jamais), Jamie Bell et Sophie Ward (Les Prédateurs, Le Secret de la Pyramide, Book of Blood... la digne fille de son père) complètent cette distribution sans faille. 

La mise en scène de Fukunaga évite tout effet de style emprunté pour capter au mieux chaque émotion, même dans les moments de latences qui parsèment le dialogue entre Jane et Rochester. Ces silences chargés deviennent de véritables instants de poésie pure qui participent à l’ampleur de répliques toujours délicieuses. Bercé par la musique discrète mais inspirée de Dario Marianelli (souvenez-vous du thème principal d’Orgueil et Préjugés) et malgré un traitement elliptique (Deux heures obligent) qui n’est là que pour faire parler les puristes, il semblerait que Jane Eyre aie enfin trouvé l’écrin cinématographique qui lui faisait défaut.


22 janv. 2013

Twins of Evil


Réalisé par John Hough en 1971.
Avec : Peter Cushing, Mary Collinson, Madeleine Collinson, Kathleen Byron, David Warbeck, Damien Thomas, Dennis Price...
Scénario de Tudor Gates librement inspiré de Carmilla.

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Maria et Frieda, soeurs jumelles totalement identiques, sont orphelines et sont confiées à la garde de leur oncle Gustav, un puritain convaincu à la tête d'une confrérie de chasseur de sorcières fanatiques. Frieda ne tarde pas à tomber sous le charme du mystérieux Conte Karnstein...

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Twins of Evil, ou Les Sévices de Dracula, tel qu'il est connu chez nous, est le troisième film de la Hammer à se réclamer du roman de Sheridan Le Fanu. Ce troisième film dont l'action se déroule visiblement plus d'un siècle avant The Vampire Lovers et Lust for a Vampire, ne comporte que peu de ressemblances avec Carmilla, le personnage lui-même ne fait d'ailleurs qu'une brève apparition (sous les traits de Katya Wyeth) pour initier son descendant aux rites vampiriques. C'est dans l'association du mythe du vampire à la sorcellerie que le film trouve son postulat le plus intéressant, offrant à Peter Cushing un rôle sur mesure de fanatique religieux.


Le film joue habilement avec les personnalités opposées des jumelles du titre, l'une, Frieda est attirée par le conte Karnstein et devient une vampire séductrice, tandis que l'autre, Maria s'éprend d'un séduisant jeune professeur, Anton. Alors que Gustav acquiert la certitude que Frieda a succombée au vampire, il la fait capturer par la confrérie. Karnstein kidnappe alors Maria et l'enferme dans la geole de la confrérie à la place de Frieda. Lorsque Maria est finalement conduite au bûcher à la place de sa soeur, seul Anton sait que Gustav fait erreur, mais impossible de stopper celui qui s'est autoproclamé inquisiteur.

Aux commandes de ce superbe film au scénario plus complexe qu'à l'accoutumé, on retrouve un spécialiste du cinéma fantastique dont c'est la seule réalisation pour le studio Hammer : John Hough. Le futur réalisateur de La Maison des Damnés superbe adaptation du roman de Richard Matheson, Hell House), offre un film sans temps mort, qui bénéficie d'une direction artistique superbe, à des lieues au dessus de Lust for a Vampire. Le casting au sein duquel on retrouve un Peter Cushing magistral compte aussi en la personne de Damien Thomas un conte vampire séducteur qui n'est pas sans évoquer le Baron Meinster des Maîtresses de Dracula de Terence Fisher (1960), et surtout les playmates Collinson, véritables jumelles dont le charme juvénile rend leur rôle d'autant plus ambigu.


Beaucoup moins versé que son prédécesseur dans la contemplation du physique de ses actrices, Twins of Evil offre un spectacle gothique superbe, et un divertissement certain. La musique de Harry Robertson est aussi une excellente surprise, tirant vers le western lors des chevauchés de la confrérie dirigée par Gustav/Cushing. Porté par de bonnes idées, de splendides fulgurances esthétiques et un excellent casting, ce film est le véritable coeur de la saga Karnstein de la Hammer, qui retrouve son style flamboyant, et mérite d'être (re)découvert.