18 févr. 2013

Les Hauts de Hurlevent (2012)


Réalisé par Andrea Arnold en 2011
D'après le roman d'Emily Brontë
Avec Shanon Beer, Solomon Glave, Kaya Scoledario, James Howson...

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On ne s’attendait pas à retrouver Andrea Arnold, réalisatrice du formidable Fish Tank  aux commandes d’une nouvelle adaptation d’un classique de la littérature gothique ! Peu de temps après le magistral Jane Eyre de Cary Fukunaga, d’après le roman de Charlotte Brontë avec Mia Wasikowska et Michael Fassender, débarque discrètement ce Wuthering Heights, adapté du célèbre roman d’Emily Brontë

De retour de Liverpool, Mr. Earnshaw ramène avec lui un jeune garçon, Heathcliff, qu’il entend traiter comme son fils. Très vite, Heathcliff noue une relation particulièrement forte avec Catherine Earnshaw, mais s’attire la haine de son frère, Hindley. A la mort de leur père, Hindley hérite du domaine et se refuse à traiter Heathcliff comme un égal. Ce dernier voit aussi Catherine s’éloigner de lui lorsqu’elle rencontre le jeune Edgar Linton, qui ne tarde pas à la demander en mariage. Heathcliff s’enfuie alors, pour ne réapparaître que quatre ans plus tard, bouleversant la vie de Catherine désormais mariée à Edgar.

Pour donner vie à cette histoire d’amour torturée, Andrea Arnold s’est entourée d’un casting que l’on pourrait qualifier d’improbable et pourtant parfaitement judicieux. A commencer par les adolescents qui interprètent les jeunes Cathy et Heathcliff, respectivement Shannon Beer et Solomon Glave qui font là leurs premiers pas au cinéma avec une sincérité qui confère à la première partie du film une puissance extraordinaire, particulièrement Shannon Beer qui affiche une Cathy espiègle et consciente de son influence. Leurs homonymes adultes sont interprétés par Kaya Scodelario (Effy dans la série « Skins ») et, se reportant, pour la première fois dans l’histoire du cinéma, fidèlement à la description d ‘Heathcliff dans le roman, celle d’un garçon à la peau sombre, Arnold a porté son choix sur un acteur noir, James Howson, dont c’est aussi le premier rôle au cinéma. Le jeune homme entre parfaitement dans la peau du personnage impulsif et inquiétant mais aussi totalement fascinant. Délaissant l’aspect "glamoureux" des adaptations précédentes, la réalisatrice et sa scénariste Olivia Hetreed se sont aussi rappelé la condition de fermiers de Earnshaw, et le choix d’acteurs au parlé presque « chav » rend la chose étonnamment convaincante.




La réussite de « Wuthering Heights » tient avait tout à sa sobriété, qui pousse l’esthétique aux fondements du gothique anglais, avec l’absence de musique extra-diégétique , qui nous laisse pour seule accompagnement sonore le bruit du vent sur cette lande austère tout droit sortie d’un Hammer film. 

Comme dans nombre d’adaptations cinématographiques des « Hauts de Hurlevents », les derniers chapitres du roman, qui suivent la mort de Catherine et voient les enfants Earnshaw et Linton reproduire sans le savoir l’histoire de leurs parents, sont omis, mais l’histoire n’en demeure pas moins dense et le rythme lent et hypnotique. Filmant ses acteurs à leur hauteur et sans plus d’effets convenus, Andrea Arnold parvient à saisir l’essence de son sujet, à rendre sensible cet amour romanesque contrarié, et à insuffler au spectateur la fièvre de ses deux personnages principaux. 

Plus qu’un travail d’adaptation, c’est un remarquable travail d’appropriation qu’accompli Arnold en pliant, sans le dénaturer, le récit à son style. Sans commune mesure avec les précédentes adaptations, elle apporte ainsi sa splendide pierre à l’édifice gothique !


13 févr. 2013

Jane Eyre (2011)


Réalisé par Cary Fukunaga en 2011
D'après le roman de Charlotte Brontë
Avec Mia Wasikowska, Michael Fassbender, Judi Dench, Jamie Bell, Sallie Hawkins, Sophie Ward...

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Il est de ces romans qui connaissent des adaptations cinématographiques à intervalle régulier. Parmi eux,  Jane Eyre  de Charlotte Brontë n’a jamais été le mieux servit, étant resté à tort dans l’ombre de son cadet, Wuthering Heights d’Emily Brontë. Parmi la quinzaine de films inspirés de cette histoire aux accents gothiques, celui qui venait le plus souvent à l’esprit était celui de Franco Zeffirelli (1996) avec Charlotte Gainsbourg et William Hurt. Il faudra désormais compter avec celui de Cary Fukunaga qui arrive sur nos écrans près d’un an après sa sortie britannique, en même temps qu’un certain Batman face auquel il ne tiendra malheureusement pas la distance.

Le réalisateur de Sin Nombre a pour son deuxième long métrage réussi le challenge de saisir parfaitement cette histoire complexe en seulement deux heures (c’est dire si après ça on est en droit d’attendre un miracle pour sa future adaptation de It de Stephen King) et on ne lui en voudra pas de trahir la linéarité narrative du roman pour opter pour une narration en flash-back (Moira Buffini au scénario adapte la construction du film à l’atmosphère voulu par Fukunaga). Les premières images de Jane ne sont donc pas celle d’une enfant, mais nous montre sa fuite éperdue de Thornfield. Telle la Tess de Polanski, Jane avance péniblement sous un ciel de plomb avant de s’écrouler sur la lande.

Il ne faut pas beaucoup plus longtemps pour comprendre que l’esprit du roman est parfaitement traduit par la caméra de Fukunaga qui maîtrise aussi bien ce qui relève de l’enfance et de la maturité de son personnage principal. Il y a bel et bien l’ébauche du fantastique dans le traitement de l’enfance de Jane lorsque son imagination nourrie de contes se mêle à la réalité pour donner vie au monstre qui habite la cheminé de la chambre rouge. L‘aspect malsain du pensionnat Lowood est poussé à son maximum pour coller à la vision qu’en a l’enfant qui partage son séjour entre pénitences et châtiments corporels. Il n’y a pourtant rien de misérabiliste dans cette approche qui surpasse celle qui caractérise un Oliver Twist. 

Le casting est assurément l’atout majeur de cette adaptation. Là où William Hurt et Charlotte Gainsbourg adoptaient une composition qui délaissait l’amour passionné pour une trop froide torture spirituelle proche de l’indifférence tant leurs personnages évoluaient dans deux sphères différentes, Mia Wasikowska (Alice de Tim Burton, The Kids are All Right de Lisa Chodolenko) et Michael Fassbender (la liste est longue, pour une carrière aussi jeune et déjà monumentale) contaminent leurs univers mutuels pour offrir cette complicité fiévreuse qui rend la vision du film aussi chaudement humide que la lecture du roman. Le Rochester de Jane Eyre n’est pas le Heathcliff des Hauts de Hurlevent duquel on le rapproche trop souvent, sa colère se dirige essentiellement sur lui-même et si la retenue de Fassbender l’empêche de s’exprimer c’est pour mieux susciter le malaise chez le spectateur avec cette constante frustration qui garni de barbelés la frontière entre Rochester et Jane. L’impression d’un fantastique discret achèvera de nimber de mystère le secret de Rochester qui sera finalement révélé avec une sobriété bienvenue.

Le parti pris de la nuance adopté par un Fukunaga qui se refuse définitivement à toucher aux extrêmes rend l’histoire d’autant plus trouble que l’identification aux personnages est rendu totalement possible et même inévitable. On n’évitera pourtant pas la haine que suscite Mrs Reed (Sally Hawkins, toujours parfaite), la tante de Jane qui est en partie à l’origine de son drame ou le cousin John Reed (Craig Roberts, LE visage du futur pour le ciné anglais, déjà vu dans le formidable Submarine de Richard Ayoade). Amelia Clarkson est réellement impressionnante dans le rôle difficile de la toute jeune Jane d’autant plus qu’elle semble très à l’aise dans l’amitié trouble qui lie son personnage à la jeune Helen (Freya Parks, une belle promesse du cinéma britannique). Judi Dench (Lady Dench et ses dix BAFTA awards ne déçoit décidément jamais), Jamie Bell et Sophie Ward (Les Prédateurs, Le Secret de la Pyramide, Book of Blood... la digne fille de son père) complètent cette distribution sans faille. 

La mise en scène de Fukunaga évite tout effet de style emprunté pour capter au mieux chaque émotion, même dans les moments de latences qui parsèment le dialogue entre Jane et Rochester. Ces silences chargés deviennent de véritables instants de poésie pure qui participent à l’ampleur de répliques toujours délicieuses. Bercé par la musique discrète mais inspirée de Dario Marianelli (souvenez-vous du thème principal d’Orgueil et Préjugés) et malgré un traitement elliptique (Deux heures obligent) qui n’est là que pour faire parler les puristes, il semblerait que Jane Eyre aie enfin trouvé l’écrin cinématographique qui lui faisait défaut.