31 mai 2013

Mystery & Imagination : Dracula


Réalisé par Patrick Dromgoole en 1968.
Scénario de Charles Graham, d'après le roman de Bram Stoker
Avec : Denholm Elliott, Bernard Archard, Susan George, James Maxwell, Joan Hickson, 
Suzanne Neve, Corin Redgrave...

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Sous la houlette de Thames production, la série Mystery & Imagination continue, à la fin des années 60, de délivrer pour le petit écran ses adaptation des grands classiques de la littérature fantastique. Bien évidemment arrive le tour de Dracula, alors que le personnage connaît un essor sans précédent sur le grand écran avec les films de la Hammer. Bien consciente de ne pouvoir déployer les mêmes flamboyances gothiques, l'équipe du film opte pour une approche tout à fait différente qu'accentue un noir et blanc qui sied particulièrement à l'atmosphère glaciale de cette adaptation plutôt déconcertante.

L'objet de la première remarque est bien sûr le scénario, qui en 80 minutes, remanie de façon conséquente le matériau de base. Si La Chute de la Maison Usher, fruit de la même équipe, brodait largement autour de la courte nouvelle de Poe, ce Dracula élague considérablement le long roman de Stoker. Lorsque le film commence, nous nous trouvons dans une cellule de l'asile du Dr Seward. Un dément à la crinière blanche qui pourrait être Renfield s'en évade et se rue dans le salon ou Lucy Weston et sa mère écoute la sonate au clair de lune. Lorsque le dément est maîtrisé et ramené dans sa cellule, l'homme au piano se lève : c'est le comte Dracula. Nous voila directement parachuté en centre de l'intrigue qui délaisse le préambule transylvanien. On apprendra par la suite que le patient de Seward est en fait Jonathan Harker (Corin Redgrave), retrouvé délirant à bord du Demeter qui amenait le comte à Londres, une explication qui n'est pas sans rappeler la découverte de Renfield au fond de la cale du navire dans le Dracula de Tod Browning (1931).


Tout se déroule ici dans un lieu unique, en de longs plans fixes, réminiscences des planches de théâtre qui ont vu naître la pièce d'Hamilton Dean, de laquelle cette adaptation s'inspire beaucoup, renforcées par le découpage en trois actes distincts. La staticité de la caméra n'empêche pas le réalisateur de mettre en oeuvre de belles idées visuelles qui font aussi office de raccourcis narratifs, comme le récits de la mésaventure d'Harker au château de Dracula, où sa rencontre avec les trois succubes prend une tournure quasi-expressionniste. 

Le téléfilm ne fait pas que bousculer la trame du roman, mais affirme sa volonté de démarcation en nous faisant découvrir le personnage de Dracula lui-même, sous un jour (si l'on peut dire) totalement nouveau. Le choix de l'acteur Denholm Elliott sonne comme un défi aux idées préconçues, très éloigné de l'image que l'on se fait du vampire valaque. Cependant l'acteur, dont on avait déjà pu admirer la performance en Roderick Usher dans le téléfilm de Kim Mills cité plus haut, assure une composition remarquable et arbore un look qui oscille entre une vision "modernisante" (un vampire gentleman, pianiste à ses heures perdues, chaussant ses lunettes à verres fumés qui lui donnent l'air distant et vulnérable d'une rock-star vieillissante) et un autre presque rétrograde (sa longue cape peu pratique avec laquelle il ne cesse de faire des moulinets, ses incisives  qui évoquent fatalement le Nosferatu de Murnau, son accent indéterminable...). 


Elliott est assurément l'élément le plus surprenant du casting, mais celui-ci reste tout à fait intéressant, Susan George et Suzanne Neve font d'excellents Lucy et Mina, la première ne cachant pas sa fascination pour le comte, et la seconde tentant désespérément de faire revenir Jonathan à la raison. On notera qu'Arthur Holmwood et Quincey Morris ont été évincé de l'intrigue pour permettre le développement de personnages de second plans, notamment la mère de Lucy, interprétée par la future Miss Marple, Joan Hickson.

Le principal intérêt de cette adaptation réside donc dans son approche quelque peu marginale, mais c'est sans compter sur le savoir-faire d'une équipe qui met tout en oeuvre pour délivrer un conte d'épouvante qui en cela conserve l'esprit du roman de Stoker. Parmi toutes les adaptations télévisuelles du roman, le Dracula de Patrick Dromgoole est  à ce jour la plus ancienne visible et à ce titre mérite largement qu'on s'y attarde.

14 mai 2013

Dario Argento's Dracula 3D


Réalisé par Dario Argento en 2012
Avec Asia Argento, Thomas Kretschman, Rutger Hauer...
Musique de Claudio Simonetti

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Les années 2000 n’ont pas été tendres avec Dario Argento : Si LE SANG DES INNOCENTS laissait espérer un retour en force du maestro dans le genre qu’il avait popularisé au début des années 70, le polar dépressif THE CARD PLAYER, le méta-giallo VOUS AIMEZ HITCHCOCK, et surtout le dernier volet de la trilogie des trois mères, MOTHER OF TEARS ainsi que le thriller mal nommé GIALLO, ont divisé les fans et consacré Argento « has been ». Ces deux derniers essais relevaient pourtant d’une volonté de retour aux fondamentaux, mais force est de constaté que déléguer aux  scénaristes Jace Anderson et Adam Gierasch la prolongation de son œuvre ésotérique était une très mauvaise idée (rappelons qu’ils sont derrière l’immonde MORTUARY de Tobe Hooper), et que mettre en scène leur vision erronée avec autant d’aplomb laissait planer le doute quant à la lucidité du réalisateur. GIALLO au contraire ne souffre pas tant de tares scénaristiques et visuelles, qui sont bien moins frappantes que celles de LA TERZA MADRE, que de son titre qui laisse espérer une synthèse du giallo alors que le film n’est qu’un thriller classique. Moins ambitieux, mieux appréhendé, GIALLO ressemble à l’œuvre d’un cinéaste débutant, encombré par un casting trop lourd (Emmanuelle Seigner, Adrien Brody…), peu concerné par l’histoire qu’il raconte, mais tentant du mieux qu’il peut de travailler une esthétique, une mise en scène et une atmosphère.

Dans cette mécanique du retour aux sources, Argento s’attaque à l’une des figures les plus emblématiques du cinéma fantastique : Dracula. S’il caressait depuis longtemps l’idée de réaliser un film de vampire, ce n’est qu’en 2010 qu’il s’attèle à la tâche, entamant un travail d’adaptation très personnelle du roman de Bram Stoker, ce qui laisse craindre le pire pour ceux qui n’ont pas encore avalé un FANTÔME DE L’OPERA qui ne trahissait pourtant pas tant que ça le roman de Leroux. Mais DRACULA ne se veut pas tant une adaptation du roman de Stoker, selon les dires du réalisateur qu’une révision nostalgique de l’histoire du vampire au cinéma. Encore faut-il que la vision qu’a Argento des films Universal ou Hammer soit la même que la nôtre… Visiblement ce n’est pas le cas.



Le DRACULA de Dario Argento évoque plus facilement celui de Jess Franco que celui de Terence Fisher, même si les écarts par rapport au roman sont pour la plupart empruntés à de nombreuses adaptations passées. Ainsi Jonathan Harker se rend au château de Dracula en tant que bibliothécaire comme dans LE CAUCHEMAR DE DRACULA (1958), il y rencontre une jeune femme énigmatique qui se nomme Tania comme dans LES CICATRICES DE DRACULA (1970), et sa fiancée Mina est la réincarnation du grand amour perdu de Dracula, comme dans le DRACULA de Dan Curtis (1973) et celui de Francis Ford Coppola (1992). Au-delà de ces similitudes, le reste du métrage acquiert une certaine identité, peut-être par son dépouillement. Difficile en tout cas de reconnaitre Argento dans cette émanation vampirique bisseuse tout droit sortie des années 70. DRACULA n’est pas la perle gothique qu’on pouvait attendre d’un Argento désireux de revenir aux bases du cinéma fantastique, mais à tout du film en retard sur son temps. Ce retard, le réalisateur pensait peut-être le rattraper grâce à la 3D, qui toute immersive qu’elle soit n’en souligne pas moins des effets spéciaux à base d’image de synthèse inachevées, dont beaucoup relèvent de la faute de goût (une araignée en CGI ? En filmer une vraie n’aurait-il pas été plus facile ? Ou est-ce là l’araignée en plastique de studio 2.0 ?). La palme revient à une mante religieuse géante d’un vert criard, incrustée sans ménagement.



Cette entêtement à expérimenter toutes les techniques possibles vient gâcher le plaisir qu’on a à admirer le panache d’une mise en scène qui est bien celle d’un Argento soucieux d’adapter le récit vampirique aux canons de son cinéma. Autre constat malheureux, un casting totalement à côté de la plaque, qui parvient au moins à être homogène dans sa médiocrité, d’une Lucy qui refoule ses penchants homosexuels au grand dam du public sous le charme ambigu de la demoiselle (la Lucy en question étant bien entendu Asia Argento) à un Dracula sans envergue (Thomas Kretschman) dont le jeu fade et mal assuré rappelle l’effort plus convaincant tout de même de Louis Jourdan dans l’adaptation de Philip Saville (1977). Le seul à tirer son épingle du jeu est le toujours fringant Rutger Hauer dont le Van Helsing n’apparaît qu’après une bonne moitié du film (Argento ici exauce mon souhait de voir Rutger Hauer, que je considère comme un immense acteur, interpréter Van Helsing, comme Guy Ritchie avait exaucé celui de voir enfin Stephen Fry interpréter Mycroft Holmes). Tel le docteur Loomis dans HALLOWEEN 6 (1996), le spécialiste des vampires surprend Mina dans sa propre maison, pour lui dire qu’il peut l’aider. Oui l’aider, parce qu’à ce stade Lucy est morte, Jonathan n’est pas rentré, les loups hurlent et les villageois accrochent de l’ail partout, bref elle a bien des raisons de faire une dépression. En fin psychologue, Van Helsing veut lui faire subir un choc psychologique, pour qu’elle voit enfin la vie en rose et vienne dégommer le saigneur en chef avec lui, quoi de mieux pour se faire que d’aller cramer Lucy !



Le reste de la trame embraille sur le schéma classique, et inexplicablement DRACULA exerce sa fascination sur le spectateur comme son personnage centrale sur Mina. Force est de constater que dans sa naïveté, le film touche et parle au cœur de l’amateur de cinéma bis qui n’en peux plus des révisions aseptisées à base de triolisme asexué (Twilight). Dans sa plastique évoquée plus haut, il parvient à charmer aussi, les intérieurs étant bien souvent réduits à des murs de pierre décorés d’ail et de crucifix, et les extérieurs, mis à part un village filmé à la Herzog, se résument à une forêt dont l’obscurité en dehors du sentier relève d’une totale opacité. Cette Transylvanie selon Argento n’est pas sans évoquer les Alpes suisses de PHENOMENA que peuplaient déjà les essaims de mouches qui sont ici l’une des nombreuses formes que peu prendre Dracula. Dans sa simplicité et dans le resserrement de son intrigue à un lieu unique, la Transylvanie, avec ses territoires bien délimités  (le village, le château et la forêt qui les sépare) et son développement des seuls personnages véritablement nécessaires à l’intrigue (Jonathan, Mina, Lucy, Dracula, Van Helsing), DRACULA tient presque du schéma  de conte de fée.

Alors que le film s’est achevé sans véritable surprise, on en vient à se réjouir qu’on puisse voir en 2013 un film tel que celui-ci : au récit calqué sur les plus vieux codes du genre, mais au service duquel sont mises toutes les techniques modernes. Le résultat bâtard divise une fois de plus, et s’il prête parfois à rire, ce rire-là est plus franc, moins effaré, moins douloureux que celui qui accompagnât en son temps LA TERZA MADRE, la dernière réplique aidant, en brisant la solennité dont on pouvait croire le film empli, à mettre en avant le talent indéniable de Dario Argento pour amuser la galerie.

8 mai 2013

Le printemps des disparus

Jess Franco

A gauche, aux côtés de Daniel White dans Miss Muerte (1966)

Le réalisateur Madrilène nous a quitté le 2 avril dernier, à 82 ans. L'homme, empereur du bis, auteur ultime, amoureux du cinéma et des femmes, Jazzman fou, esthète sadien, laisse derrière lui une oeuvre écrasante de près de 200 films, bizarres, violents, érotiques, morbides, mais aussi vivants, fascinants, bouleversants. Le réalisateur de La Comtesse Noire, L'horrible Dr Orloff, Vampyros Lesbos, les Nuits de Dracula ou de Justine de Sade a rejoint Lina Romay (décédée en février 2012), sa compagne, sa muse, son vampire, à laquelle il aura consacré 40 ans de sa carrière.

Ray Harryhausen

Avec le tricératops d'Un Million d'années avant J-C (1966)

Décédé le 7 mai à l'age de 92 ans, le génie des effets spéciaux, magicien de la stop motion, Ray Harryhausen laisse une empreinte de géant dans l'histoire du cinéma, ayant réalisé les trucages de classiques tels Jason et les Argonautes, La Vallée de Gwangi ou Le Choc des Titans...