8 août 2013

Justine de Sade


Réalisé par Jess Franco en 1968
Avec : Romina Power, Maria Rohm, Klaus Kinski, Jack Palance, Mercedes McCambridge, 
Akim Tamiroff, Howard Vernon, Rosemary Dexter, Rosalba Neri, Sylva Koscina...
Scénario de Peter Welbeck (Harry Alan Towers) 
d'après Les Infortunes de la Vertu de D.A.F. de Sade.
Musique composée par Bruno Nicolaï.

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On relègue souvent ce Justine de Sade au second rang des œuvres de Jess Franco, ne reconnaissant que sa valeur en tant que première adaptation fidèle d'une oeuvre de Sade et ne lui accordant que les qualités d'un film en costume dans les standards de l'époque. C'est pourtant oublier que si Franco sait, quand il le faut, s'adapter à un cahier des charges précis, surtout dans le cadre de "grosses" productions comme ici, il n'en est pas moins l'homme derrière la caméra et que par conséquent, sa patte s'en ressent. C'est très volontier que l'homme accepte de réaliser le projet soumis par Harry Alan Towers, qui lui présente même d'emblée un scénario fini, et c'est le point de départ pour le réalisateur madrilène d'une longue histoire d'amour et de cinéma avec le Marquis de Sade, qu'il adaptera à maintes reprises par la suite.

Dès l'ouverture, Franco s'affirme, distend les limites du cadre, joue avec la mise au point, alors qu'il nous présente son Marquis de Sade que l'on amène dans sa cellule. Le Sade interprété par Klaus Kinski tourne comme un lion en cage, tandis que les zooms et dézooms incessants de Franco font disparaître puis réapparaître les barreaux nous laissant par intermittence entrer dans l'univers étouffant du marquis. La musique martiale presque brutale, de Nicolaï s'adoucit, retrouve en mélodie ce qu'elle perd en immédiateté, en accompagnant les songes du marquis qui, soudain assailli de visions plus ou moins abstraites (on devine des corps torturés, la pointe d'un sein d'une blancheur nacrée dans la lumière qui fait écho à la plume immaculée posée sur le bureau), s'empare de sa plume et ce met à écrire ce qu'une voix off nous annonce comme "l'histoire de Justine ou les Infortunes de la vertu". Dans un coin de la cellule est apparu Justine, prostrée, les mains jointes sur son intimité, qu'un fondu enchaîné transforme en fleurs rouges alors que le générique défile.


On vient presque d'assister à un film avant le film avec cette introduction baroque, fascinante, dans laquelle tous les éléments s'accordent parfaitement. Nous sont alors présentées Juliette et Justine, l'une coquette et perfide, l'autre innocente et vertueuse, deux orphelines laissées à la porte d'un couvent avec chacune cent écus. Si Juliette s'empresse de les faire fructifier en prenant une place dans l'établissement de Madame Du Buisson (une maison close), Justine refuse ce travail déshonorant et préfère faire confiance à un moine qui lui promet de mettre sa bourse en sûreté, moine qu'évidemment, elle ne reverra jamais. La Justine du film ne nous apparaît par tant vertueuse que con comme une bèche, un défaut du personnage selon le réalisateur lui-même plus attaché à la Justine du roman qui fait montre tout de même d'une certaine intelligence. Cette tare, il l'attribut à l'actrice elle-même, Romina Power, la fille de Tyron Power, qui traverse le film avec l'air de n'y rien comprendre. L'oie blanche supporte ses malheurs avec l'aplomb d'un personnage de cartoon et l'empathie que l'on pouvait ressentir vis à vis du personnage s’efface peu à peu. Victime des manigances d'un logeur peu scrupuleux, arrêtée et conduite à la bastille, elle tombe sous la coupe de la Dubois, chef d'une bande de criminelle qui met à contribution la jeune fille pour son évasion. Malmenée par la bande de la Dubois qui demande une reconnaissance en nature, elle s'enfuit à travers la foret et vient s'évanouir devant un peintre qui, le souffle coupée par cette apparition ne sait demabder que "puis-je vous aider ?".


Justine glisse alors hors du temps tandis que ce prince charmant la porte vers un mini château disney entouré de glaïeuls. Ce personnage est Raymond de Briac, totalement absent du roman de Sade. Cet îlot de calme pour Justine a tout d'un rêve, les intérieurs sont nimbés de rose, l'histoire d'amour naissante et l'affirmation de la personnalité de Justine aux côtés de son sauveur redonne quelques couleurs au personnage, mais si ce n'est pas un rêve, alors cela en suit tout de même la logique. Le tout tourne au cauchemar, lorsque forcée de s'enfuir de chez Briac car elle est poursuivie pour son évasion, elle tombe sur l'alter ego maléfique de son amant, le marquis de Bressac. La ressemblance des deux noms laisse penser qu'ils sont un seul et même personnage, divisé en deux par l'esprit de Justine, en effet dans le roman, lorsqu'elle rencontre Bressac, elle est encline à déceler en lui des valeurs qui l'atirrent, avant de ne plus voir que sa nature débauchée et cruelle. Un détournement qui renforce l'aspect onirique d'un film qui est toujours ponctué par les réflexions de Sade/Kinski qui est celui qui tire les ficelles du cauchemar. Cette parti affiche plus que jamais le caractère ambitieux de la production auxquels participent décors et costumes, Justine  passe dans un autre décor, tout droit sorti d'Angélique, marquise des anges, et une nouvelle farce dont elle est le dindon la fait passer pour une criminelle.


Elle n'est pas au bout de ses peines, et sitôt s'est-elle éloignée de Bressac, qu'elle suit le conseil d'une étrange bergère, qui tel une personnification bergmanienne de la Mort lui indique un monastère où elle pourra se réfugier. La musique à l'orgue et la légère plongée sur le visage aux yeux écarquillés de la bergère achèvent de rendre la rencontre étrange. Ce monastère a tout de l'enfer, ses moines n'ont pour étude que la recherche continuelle du plaisir, qu'ils appliquent avec leurs invitées lors de cérémonies obscènes. A la tête de cet ordre se trouve Jack Palance interprétant frère Anthonin. Halluciné, vraisemblablement alcoolisé, l'acteur délivre une partition dantesque, avançant sans marcher, en flottant tel un saint, déclamant une tirade sur l'objet de sa quête et hissant Justine au sommet de sa réflexion, car ici enfin, le film rejoint le roman, lorsque Justine accepte de tendre l'oreille au discours de ses bourreaux et de reconnaître que n'est bon que ce qui se soumet à la loi de la nature. Mais c'est au fantastique alors de doubler d'intensité quand la foudre, qui dans le roman s'abattait sur Justine mettant fin à son calvaire, s'abat sur le monastère pour la délivrer en plein rituel. Alors qu'elle s'enfuit, les moines ne peuvent la suivre, comme prisonnier de l'enceinte même percée du lieu de leur retraite.


Il ne s'agit là que d'un échantillon des malheurs de la pauvre Justine, tandis que sa sœur, Juliette ne fait qu'accroître sa fortune à force de crimes et grimpe les échelons de la société à toute vitesse. Leur retrouvailles sont un soulagement, tant on s'est prit à souhaiter la fin des persécution pour Justine. Ce final qui voit Juliette faire preuve de bonté en sauvant sa sœur, et Justine  partir au bras de Briac qui l'a retrouvé a souvent été reproché à Franco qui trahit ici largement le discours de Sade, mais il ne faut pas oublier la malice du réalisateur, qui après cette conclusion tout sucre tout miel convoque à nouveau le divin marquis Kinski, et sous entend, promenant sa caméra sur un encrier renversé, que pour écrire une fin pareille, il faut que l'homme ait perdu la main. Se reprenant, le marquis raye ses dernières lignes, annulant de fait ce final idyllique et pose le front sur le parchemin en signe de résignation, laissant le spectateur songer à quel dénouement s'expose en fait la pauvre Justine.

Faut-il vraiment voir ce film comme une véritable adaptation des Infortunes de la Vertu et le juger en conséquence, comme trop sage ou trop superficiel, ou faut-il au contraire y voir plus qu'autre chose, une oeuvre dérivée, du para-Sade en quelque sorte qui répond plus aux principes de l'univers francien qu'à l'objet littéraire dont il tire son titre et ses péripéties ? La seconde hypothèse joue plus en faveur de cette oeuvre qui souffre malgré tout de son statut de production respectable, qui bride Franco dans ses aspirations sadiennes qu'il parviendra à satisfaire dans d'autres films plus tardifs, mais ça, c'est une autre histoire.